Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Neynän, le Danse-Ombre
Neynän, le Danse-Ombre
Publicité

2 - If i could

Puremusic - If I Could (Harold-Alexis Remix)

 

Neynän avait couru jusqu’ici, tous les jours depuis plus d’une décade. Déterminé et impatient.

A des kilomètres du centre névralgique des Djinaö, il ne risquait guère d’être surpris par les siens mais devait sacrifier un temps précieux aux allers-retours. La frustration s’avérait cependant trop conséquente pour ne pas être sevrée par ses tentatives quotidiennes. Il dévorait ainsi machinalement, dans les boyaux souterrains, la distance qui le séparait de son obsession. Totalement silencieux. Telle une ombre au cœur de l’obscurité, il n’hésitait pas un quart de seconde à chaque embranchement. Sautillant, se collant aux parois et évitant les déformations du terrain sans même y penser. S’arrêtant aussi parfois, scrutant les ténèbres sur la partie infrarouge du spectre, attentif au moindre bruit, à la moindre vibration.

Puis finalement, à son habitude, il entra dans la caverne sans aucune précaution. Aussi loin pouvait-il être, il demeurait néanmoins dans le domaine d’influence et de protection de son peuple. Le risque de mauvaises rencontres s‘avérait donc des plus mesurés mais pas nul. Il le savait mais passait outre.

Guère accueillante, la cavité était hérissée de stalagmites et de stalactites dont certaines se joignaient en colonnades grossières et boursouflées. Le liquide indéterminé qui suintait des parois finissait par croupir dans les quelques crevasses du sol irrégulier. Et un peu partout au plafond, une forme rare de mousse mi-végétale, mi-cristalline émettait une bioluminescence d’un vert pale maladif.

Ainsi éclairée, la caverne jetait dans les recoins les plus chaotiques de son anatomie, des ombres lugubres. Tant et si bien qu’à sa première venue, Neynän s’était attendu à voir se refermer sur lui, les crocs effilés de cette gueule de démon baveuse et putride.

Mais c’était devenu son terrain de jeu à présent et curieusement, il s’y sentait bien.

Il ressentait ici plus qu’ailleurs, le flux d’énergie affluer en lui comme des vagues de frissons. Sans doute à l’état latent depuis sa genèse, cela venait de prendre récemment corps et vie. Pourtant, l’hérédité inhérente à sa caste inférieure aurait dû le soustraire à un tel don… en théorie.

Neynän leva doucement ses mains devant son visage, paumes vers lui, écartant ses longs doigts fins. Et cru y voir s’y propager des volutes d’énergie. Il les tourna alors qu’il allongeait les bras et ne laissa que les pouces, index et majeurs tendus.

« Si je pouvais… »

Il chercha à puiser dans cette source… mais sans résultat. Et gronda.

Il chercha à éjecter hors de lui l’énergie… mais en vain. Et se crispa.

Il chercha à accentuer les vagues intrinsèques… mais rien ne se passa. Et il fulmina.

« Si seulement je pouvais… »

Cela faisait maintenant plus de dix jours qu’il échouait ainsi.

Il leva ses yeux argentés vers le dôme de roche, laissa retomber inertes ses bras le long de son corps et se vida la tête de toutes pensées. Pour cela, il fit d’abord abstraction de la lumière puis des sons ténus et enfin des signaux physiques de son corps. Se laissant aller à une stase physique et mentale. Et ainsi, au prix d’efforts conséquents, il ferma un à un ses sens au présent. Tant et si bien que même le temps sembla infléchir sa course pour se fondre au néant. Ni espace, ni temps… aucun ressenti, ni pensée, ni rêve… comme si son être venait de se déliter, de se dissoudre et de disparaître sans laisser la moindre trace… était-ce là faire corps avec le rien, avec le tout ? Mais en l’absence de temps, quel sens cela recelait-il vraiment ? Cette intangibilité pouvait-elle "durer" indéfiniment ?

Neynän ne vit pas la lame de fond mentale se former lentement et venir ensuite le submerger quasi instantanément comme un haut le coeur. La pigmentation de son regard s’enflamma, le réel s’imposa à nouveau âprement à lui en un zoom incontrôlé et Naynän hurla alors que l’énergie semblait faire rôtir chaque centimètre de la chair qu’elle traversait.

Telle une marionnette, il dressa les bras à son corps défendant, mains tendues, paumes à la verticales tournées vers l’extérieur. Une onde sismique secoua violemment la caverne et des dizaines de stalactites tombèrent en une nuée de flèches mortelles, fracassant sols et monticules de roche. Des colonnes se tordirent et se désintégrèrent tout aussi aisément. Mais toutes, dans un vacarme tonitruant que le lieu n’avait sans doute jamais connu de toute son existence. Si bien que le grondement sourd s’engouffra dans les tunnels et se propagea dans la roche à des lieues et des lieues à la ronde, interpellant bien des entités terrées dans le noir. Et même le dôme vit lézarder une fissure qui le balafrerait pour les millénaires à venir.

Neynän tomba à genoux puis à terre, secoué de spasmes. Il lui semblait que l’énergie libérée venait de lui griller toutes les terminaisons nerveuses. Allongé sur le flanc, recroquevillé sur la pierre nue, dure et froide du sol, sa vision lui joua des tours et il eu la nausée. La caverne entière semblait tournoyer sur elle-même. Puis elle se stabilisa enfin et il dû se contenter un long moment de l’ondulation hypnotique de la flaque nauséabonde proche, dans laquelle baignait de petits morceaux de cette mousse luminescente arrachée à la voûte. On aurait dit de frêles esquifs éclairés aux lampes-tempête lutant contre une tourmente démesurée. Les remous se calmèrent peu à peu puis se changèrent finalement en fines oscillations annonçant un retour prochain au calme plat. Le silence regagna alors ses pleins droits. Comme si rien ne s’était passé.

Et c’est à ce moment là, lors du reflux nerveux, que les forces l’abandonnèrent complètement. Sombrant dans une léthargie comateuse…

If i could

Publicité
Publicité
Publicité